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Maroc : entre tradition et modernité, le choix s’avère délicat (3)

By   /   26 janvier 2013  /   No Comments

Livre d'Abdeslam ChaddadiPar Sami CHERIF

II –  Le point de vue de l’intelligentsia  marocaine 

Selon l’Historien Mr. Abdeslem CHADDADI, la culture marocaine vit une triple illusion dans ses relations avec son passé, avec ses adversaires et avec l’universel. Face au passé, la culture marocaine développe l’idée d’une continuité immédiate avec son histoire passée. Elle se refuse à se reconnaître simplement moderne, en mettant toujours l’accent sur sa spécificité (arabe, islamique). Son rapport à l’universel est ambigu. Cette situation contribue à la figer dans une situation stérile et dépendante. Que faire alors ?

A – Le Rejet pur et simple de la tradition chez les Professeurs Abdellah LAROUI et Ahmed BERKANI

1 – Abdellah LAROUI propose une  rupture définitive avec le passé. Cet intellectuel chevronné auteur de nombreux ouvrages

Abdala Laroui

Abdalla Laroui

qui traitent de cette question dont le plus important est « L’idéologie arabe contemporaine », appelle pour débloquer la situation à une coupure totale avec le passé et son legs traditionnel ; car pour lui, le type de raison de nos anciens, détermine une exigence d’absolu projetée sur le texte d’origine divine. Cela fait de nous des adorateurs du texte et de la lettre, prêts à pallier aux lacunes du sens par nos interprétations transformées en dogme. Ce type de rationalisme est tiré selon ce penseur, d’un rapport malade au texte. Il s’articule sur le fatalisme et la notion de vérité absolue. À ce titre, il n’est plus adapté à notre ère. En plus la culture arabo-musulmane ne favorise ni le type d’individualité qui fait de l’homme un citoyen actif, responsable et participatif, ni l’exercice intégral de la liberté.

Pour cet intellectuel, le fait majeur de la Modernité est qu’elle met en scène l’individu humain qui est à lui-même son propre fondement et sa propre fin, indépendamment de toute référence à une transcendance. L’individualisme et la liberté vont par ce fondement être l’alpha et l’oméga caractéristiques des revendications de la vie moderne.

Pour cet auteur, les arabo-musulmans ont raté leur entrée dans l’histoire universelle en essayant coûte que coûte de concilier les inconciliables. Le réformisme Salafite  avait cherché à concilier Islam et modernité. Des auteurs avaient même pris des positions favorables à la libération des femmes de leur tutelle traditionnelle (Kacem Amin, en Egypte, 1898). Des mouvements politiques laïques étaient même apparus (essentiellement avec Ali Abderraziq en 1925…). Mais les débats n’ont jamais été poussés à leur terme, le souci constant étant de « ne pas se couper des masses ».

Ahmed B. Berkani

Ahmed B. Berkani

2 – Ahmed. BERKANI  pense quant à lui, que le Maroc d’aujourd’hui est un vaste gâchis. Selon l’auteur du « Maroc à la croisée des chemins », depuis le lendemain du Protectorat français jusqu’à la mort d’Hassan II, le royaume chérifien s’est progressivement délabré. Son ouvrage invite à penser les conditions d’une transition radicale, mais équilibrée. Entre tradition et modernité, la voie médiane n’est plus possible. Seule une trajectoire libérale, délestée de son substrat religieux et respectueuse de la dignité des hommes, permettra au royaume de dépasser sa servitude, et de gagner les batailles du développement économique, de la transition démocratique et de l’équité sociale.

Serions-nous autorisés pour répondre à cette proposition du rejet définitif de la tradition, de poser la question de savoir si ce rejet qui caractérise la Modernité chez ces auteurs, ne devrait pas faire illusion sur la nature même de la tradition ? N’est-il pas néanmoins véridique, comme le souligne quelque part Léo Strauss, que la critique de la tradition est devenue à son tour une tradition dans la modernité ?

B – La possible réappropriation de la tradition dans le processus de modernisation  

Mr. Ismail ALAOUI, les Professeurs Mohamed Abed JABRI,  Ben Salem HIMIH et A. LAMRINI favorisent quant à eux une  possible réappropriation de la tradition dans le processus de modernisation :

Ismail Alaoui

Ismail Alaoui

1 – L’ancien leader du Parti du Progrès et du Socialisme, estime de son coté, que « la modernité n’est pas de s’habiller d’oripeaux occidentaux ni de singer des comportements stéréotypés ou d’adopter des innovations venues d’ailleurs en reniant ses propres racines et origines ». Pour lui « la modernité est aussi autre chose que l’appropriation de techniques et de compétences créées par autrui ». Elle est de son point de vue « un mixage entre ce que peut représenter le patrimoine civilisatinnel et culturel et ce qui est nouveau, le tout avec un esprit critique, vigilant et clairvoyant ».

Pour cet ancien Ministre du Gouvernement EL YOUSFI, nombreux sont ceux qui confondent à tort, «modernité» et  «laïcité », et ce,  sans prêter la moindre attention à la différence criante  entre ces deux concepts. Ils réfute l’argument disant que tant que les pays musulmans n’auront pas opté pour la «laïcité» ils resteront retardataires. Il  estime que «laïcité» ne signifie pas nécessairement «modernité» en ce vingt et unième siècle et qu’il y’a, dans l’islam, des prémisses de laïcité (« Safiha » de Médine – Séparation entre le trésor Public et les rentrées de la Zakat – Distinguo entre la gestion des affaires publiques générales et la gestion des biens waqf ou Habous) ».  Il ajoute qu’il Faut aussi se rappeler « le fait que l’islam n’a jamais

Feu Abed Al -Jabri

Feu Abed Al -Jabri

recommandé un type de gouvernement précis, insistant par contre sur le principe de  » Shoura « , de consultation, qui pourrait être considéré comme les prémisses d’une démocratie politique ».

Selon ce professeur marxisant, « cette intégration de la modernité doit se faire selon les spécificités de chaque peuple, spécificités culturelles mais aussi sociales ».

2 – D’autres, comme Mohamed ABED Al JABRI, n’excluent pas le bénéfice que l’on pourra tirer de l’exploitation du patrimoine culturel  dans notre effort de nous moderniser. Il écrit « La modernité ne consiste pas à refuser la tradition, ni à rompre avec le passé, mais plutôt à rehausser notre manière d’assumer notre rapport à la tradition au niveau de ce que nous appelons la `contemporanéité ». Al JABRI se déclare résolument moderne, mais il s’agit d’une modernité particulière qui prend l’allure d’une retraditionalisation se réappropriant le passé». Ce compromis historique est même approprié pour séduire les islamistes :

Le projet poursuivi par ABED Al JABRI enchante aussi les élites arabistes et trouve un écho important au Moyen-Orient. Il ouvre la voie à un rationalisme non-occidental, voire anti-occidental, qui se propose d’achever le processus de décolonisation au moyen d’un bloc politique historique où les islamistes peuvent être partie prenante.

3 – Ben Salem HIMICH dira quant à lui que « c’est depuis l’alternance qu’on peut enfin penser et relancer la modernité en tant qu’impératif existentiel et

Ben Salem Himmich

Ben Salem Himmich

ensemble de valeurs ajoutées, traduisibles en termes de progrès globaux, aussi bien dans le potentiel matériel et économique que dans les mentalités et les conduites ». Il ajoute qu’étant un « immense chantier, la modernité n’est autre que la mise en oeuvre des structures d’accueil et de bon fonctionnement de la civilisation ».  Il souligne qu’«à jamais démodée, la modernité, qui est par nature ouverte et non nihiliste, ne s’attaque à la tradition et au passé que dans la seule et unique mesure où ils bloquent le présent en le privant d’avenir». À part cela, conclut-il : « les modernistes auront beaucoup à perdre s’ils se comportent en prosélytes zélés et, sous le couvert de la lutte contre l’intégrisme, jettent dans les poubelles de l’Histoire l’islam culture, et l’islam tout court, ou, prenant appui sur les difficultés de la réarabisation, s’acharnent à traîner dans la boue la langue arabe et la culture dont elle est le réceptacle ».

La question essentielle pour ce professeur de littérature, « est de savoir quelles sont les conditions à réunir pour que la modernité devienne un processus continu et une réalité positive vécue à l’échelle individuelle et collective ». D’après lui « il va falloir se décider sur :

– la démakhzenisation qui veut dire clairement : en finir avec les anciennes conceptions de l’autorité dérivées d’une vision asservissante des sujets, ainsi qu’avec toute forme de servitude volontaire cynique et intéressée, et donc avec tout système de clientélisme, de népotisme et de fidélisation par les prébendes et les passe-droits. N’est-ce pas dans ce sens qu’il faut entendre l’appel de Mohammed VI pour une nouvelle conception de l’autorité ?

– l’instauration entre l’État et ses partenaires d’un pacte de confiance fondé sur la démocratie, unique moyen de dissoudre définitivement le traditionnel noeud de méfiance du pouvoir à l’égard des forces de progrès. Car c’est ce nœud qui est à l’origine de la politique du tout sécuritaire, et donc de l’émergence de « l’homme fort » comme figure omnipotente et foncièrement antidémocratique, n’ayant à opposer à l’État de droit qu’un système de débauchage, de corruption et de concussion ; et,

– la revalorisation du rôle des intellectuels. Dans la nouvelle situation politique au Maroc, les intellectuels ont le devoir de sortir de leur isolement et de leur torpeur. Ils devront penser et agir comme si la démocratie était d’ores et déjà une réalité palpable et un acquis irréversible, comme si la société civile les sollicitait et les soutenait… ».

4 – Pour A. LAMRINI psychanalyste, il faut être prudent dans le maniement des habituelles dualités stériles entre tradition et modernité, foi et raison, orient et occident. Ici comme là, la modernité ne se prescrit pas, elle s’intègre à partir de la tradition. Une tradition qui bouge, qui change, partout dans le monde, et qui n’est pas un gage d’authenticité, mais une discontinuité créative pouvant intégrer d’autres savoirs.

C – Le Professeur TAHA Abderrahman célèbre pour son travail sur la création d’une éthique humaniste moderniste sur la base de l’éthique et des valeurs de l’islam, appelle quant à lui, à une nécessaire moralisation de la tentative de  modernisation du pays. Il estime qu’il est impératif de faire éviter à la société marocaine les aléas négatifs de la modernisation à l’occidentale. Il avance que puisque la morale pour nous ne peut être que d’origine religieuse et que du moment que c’est l’Islam qui est la dernière des religions monothéiste à être révélée, nous ne pouvons avoir de moralité supérieure que celle léguée par cette religion. Certains diront que par ce raisonnement ; lui-même de connotation traditionaliste, ce professeur ne veut pas s’inscrire dans une perspective universelle des valeurs humaines et institue en fait pour une certaine islamisation forcée de la société et pour un retour organisé à la tradition.

L'ouvrage de Robert Assaraf

L’un des ouvrages de Robert Assaraf

D – Selon Robert Assaraf, Président du Centre de Recherches sur les Juifs du Maroc (CRJM), « la modernisation du Maroc est un fait criant déjà assumé ». Pour lui « Le Maroc est entré de plain-pied dans la modernité ».

Dans un article publié dans une livraison de l’hebdomadaire français « Marianne », Mr. Assaraf annonce que « tous les observateurs s’accordent à noter que le Maroc est entré de plain-pied  dans la modernité à une vitesse foudroyante, et qu’il est le seul pays du Maghreb à voir ses structures socio-économiques se modifier profondément du fait de l’urbanisation croissante de la population et de l’émergence d’un secteur tertiaire dont le développement constitue le principal facteur de la croissance importante du PIB. Celui-ci est passé de +2 % l’année précédente à +7 % en 2006  » ».

Après avoir mis en relief les profondes mutations en cours dans la société marocaine, le président du CRJM a noté que les opérateurs économiques nationaux, qui bénéficient de nombreux capitaux étrangers investis au Maroc, contribuent à « une modernisation accélérée » de cette société.

Cette modernisation d’après Mr. Essaraf, constitue un facteur d’intégration dans une société de consommateurs dont les modes de vie et les comportements dénotent une rupture nette avec les modèles du passé. Il suffit de se rendre au Maroc pour pouvoir constater, tant à Casablanca qu’à Marrakech ou dans d’autres villes  comme Essaouira ou Agadir, les transformations de la société marocaine et l’émergence d’un “ Maroc nouveau “ dont les jeunes générations conjuguent de manière harmonieuse leur identité et leur appartenance au vaste « village planétaire », conclut Mr. Assaraf.

De l’avis de certains observateurs, “des écrits et autres déclarations comme celles de R. Assaraf peuvent donner lieu à des interprétations dont le Maroc d’aujourd’hui n’en a nullement besoin, d’autant plus que ces déclarations amplifient trop un phénomène qui ne touche la société que par endroits “. Que cet homme d’affaires aille voir du côté d’Imilchil et bien d’autres régions du pays pour qu’il s’aperçoive que l’homme y est encore à l’ère de la pierre taillée. De plus ces affirmations, ne peuvent que nuire à la monarchie elles-mêmes. Car celle-ci pourrait fort bien préférer à contrario, aller doucement et sûrement vers la modernisation sans donner l’impression d’un abandon de facteurs identitaires et sans faire sentir à la société marocaine un quelconque choc culturel ni frustration économique.

Synthèse II ième Partie 

 

Entre coupure avec l’histoire que proposent les Professeurs LAROUI et BERKANI et la nécessaire moralisation de la modernité que prône Mr. TAHA Abderrahmane, se situe la position médiane de réappropriation de la tradition pour une modernisation dosée suivant les situations et les conjonctures, position adoptée par une grande majorité d’intellectuels du pays. Cette position-là paraît la plus réfléchie et semble être celle du Monarque.

Le fait marquant de ce tour d’horizon est que ce thème paraît occuper plus d’un observateur et semble être d’une manière insistante  à l’ordre du jour des marocains.  Sera – t – il donné au Maroc de résoudre les problématiques qui s’y rattachent dans un proche avenir?

Conclusion

Feu Hassan II pour qui "En politique, rien n'est fortuit", la modernité devrait être dosée.

Feu Hassan II pour qui « En politique, rien n’est fortuit », et la modernité devrait être dosée

Au Maroc, comme dans le monde musulman, un ordre légal économique et social adapté aux conditions du monde moderne a de grandes difficultés à se mettre en place, à se préserver et à évoluer selon les exigences de la modernité. Outre les difficultés liées à la profonde dualité de la société marocaine et au sous-développement, l’obstacle majeur demeure, aux yeux de nombre d’observateurs, celui qui découle des rapports non résolus entre religion et sécularisation. Il est normal que dans ce contexte, une moralisation de la vie publique ait du mal à émerger et que certains projets de modernisation puissent affronter des résistances à leur réalisation. Néanmoins, l’impact de la mondialisation, les exigences de la compétitivité internationale et la volonté affichée du souverain et d’une grande partie de l’élite du pays, constituent de véritables gages pour abréger l’itinéraire que doit traverser le Maroc vers cet idéal de modernité.

Le plus court chemin vers ce but serait ; selon nombre de commentateurs, obtenu par l’accent à mettre avec insistance sur les éléments incontournables suivants :

– une consécration d’une politique d’éducation appropriée et d’apprentissage conséquent qui favorise l’esprit critique, la formation  de citoyens avertis ambitieux et responsables, et l’assimilation des technologies modernes. Pour ce qui est de l’incontournable « esprit critique » qui va nécessairement avec l’esprit d’examen, l’on doit le considérer comme le fondement de toute formation et tout apprentissage. Ceux qui voudraient en priver les générations futures, au nom de vérités prétendument indiscutables et de dogmes poussiéreux ou sous le prétexte d’un combat présenté comme toujours actuel contre l’hégémonie de l’Occident, sont les vrais fossoyeurs de l’avenir. Contrairement à ce que prétendent les gardiens de la tradition, l’identité marocaine n’est pas un donné définitif et indépassable, mais une construction de l’histoire.

–  une valorisation de la thématique du travail, car l’homme de la modernité va être celui qui, par son travail, accède au statut d’homme libre et partant, de citoyen. Par son travail, l’homme moderne va devenir un Sujet qui va se posséder et qui va étendre son être au-delà de ses limites physiques, grâce au droit et approfondir et enrichir sa propre personne, grâce à l’environnement de liberté. Cette valorisation de la thématique du travail ne peut se faire sans un développement économique qui supprime les dualités économiques et sociales tout en enrayant le chômage que ce soit dans les villes ou dans les compagnes ;

– une industrialisation accélérée du pays, laquelle  industrialisation va créer en plus des richesses,  de nouvelles perspectives sociales qui le plus souvent n’admettent pas la survivance de traditions obsolètes. Le poids contraignant et handicapant de la tradition est plutôt la caractéristique des sociétés préindustrielles. L’exemple frappant de l’unique pays musulman ayant réussi sa marche vers la modernité est la Malaisie, qui a pu au bout d’une quarantaine d’année, au moyen d’une politique conséquente d’industrialisation, se hisser au niveau des pays développés et civilisés; et enfin,

– une installation immédiate de ce que Mr. Chaddadi désigne sous le vocable de « veille éthico-politique » qui peut jouer un rôle moteur et dans le renforcement du système démocratique et dans tout le processus de développement et de modernisation de la société. Cet instrument, doit  être établi sur les bases suivantes :

  • l’installation d’un véritable débat national en garantissant la liberté de pensée et d’expression et en accordant aux femmes un statut égal à celui des hommes ;
  • la consolidation de la société civile dont les associations ont encore une vie précaire faute de moyens financiers et de compétences ;
  • la lutte par tous les moyens contre toute obsession identitaire (Wahabisme, Salafisme, Berbérisme radicalisé…)
  • le renforcement de l’indépendance de la justice en la dotant des moyens qui lui garantissent le maximum d’efficacité ; et,
  • le lancement d’un processus permettant à moyen terme la résolution sur une base claire des relations entre la religion et la sécularisation.

Sami Shérif

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  • Published: 11 ans ago on 26 janvier 2013
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  • Last Modified: mars 9, 2013 @ 4:54
  • Filed Under: Conférences

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